10 mai 2004:
26 ans déjà que j'écris avec plus ou moins d'assiduité dans un "journal". Pour qui ? Pour quoi ?
Ne sommes nous pas tous faits de la même pâte ?
La page web consacrée à mon père m'a fait réaliser il y a peu que des sentiments, pour intimes qu'ils soient, n'en sont pas moins universels.
Aussi, à la faveur de la mode des 'blogs', et à l'orée de ma nouvelle vie de papa, ce "journal en ligne" va-t-il succéder au précédent.
Pour satisfaire aux règles du genre, j'ai adopté un ordre anachronologique, illustré mes propos de photos et de liens hypertextes lorsque cela était possible, et je me propose aussi de publier les commentaires qui voudront bien me parvenir sur
en précisant l'emplacement où ils devront apparaître.
1er octobre 2023
Cet été 2023 aurait pu être celui du grand chamboulement avec la lourde tâche de rechercher un appartement puis vider ta chambre à la maison.
Au lieu de cela, nous avons tous profité goulûment des congés sans autre inquiétude que de ne pas rater le train des vacances ou les rendez-vous avec les copains.
Et pour la rentrée qui s'annonce, au stress habituel de la découverte de l'emploi du temps et de la reprise des cours, aurait pu s'ajouter l'impossible apprentissage de la vie sans toi.
Mais fort heureusement, tes excellents résultats aux examens de première année t'ont permis de poursuivre dans l'université de ton choix et -malgré quelques velléités d'autonomie vite calmées- de rester aussi à la maison afin de poursuivre tes études dans le confort du cocon familial.
Pour le coup, en cette rentrée universitaire, nous sommes les témoins privilégiés des tes soirées d'intégration à répétition, bizutages et autres beuveries. Sur ce point, je peux difficilement cacher ma perplexité tant cela est éloigné de tout ce que fut ma vie d'étudiant.
Mais il va bien falloir un jour que j'intègre que ta vie n'est pas le prolongement de la mienne. Je pense y parvenir finalement assez bien. Mais ne pas savoir où tu es, à quelle heure tu rentres sans m'inquiéter pour toi, ça je vois bien que je n'y suis pas encore prêt.
Mais ça finira bien par arriver.
30 mai 2023
Parmi toutes tes réalisations qui me remplissent de fierté, la dernière n'est pas des moindres.
Ça peut pourtant sembler anodin une rando à bicyclette, mais à mes yeux, le vélo c'est bien plus qu'un deux-roues, c'est l'efficacité poussée à l'extrême, le rapport idéal entre l'effort consenti et la distance parcourue.
C'est aussi un modèle de sobriété, de légèreté, de liberté, une empreinte minimale sur l'environnement.
En bref, le vélo c'est la meilleure façon de d'appréhender les humains et le monde !
Alors bien sûr, te voir préparer les sacoches avec ta petite copine, trier les fringues, les courses et réserver les billets de train pour une semaine d'itinérance sur la côte Atlantique, ça me fait une effet dingue.
Je revis par procuration l'excitation de mes quinze ans lorsqu'on a l'impression que le monde est à portée de pédale...
17 avril 2023
J'ai parfois l'impression de lire en toi comme dans un livre ouvert.
C'est le cas lors de mon retour à la maison aujourd'hui : à ton air grave, je sens tout de suite que quelque chose ne va pas. Une embrouille avec ta copine, un problème à la fac ?
Autour d'un bon goûter à base de Princes trempés dans du lait, l'abcès est vite crevé, il s'avère qu'à mon arrivée, tu étais précisément en train de lire ce que j'ai écris sur ce blog il y a 16 ans maintenant.
Même si nous ne t'avons jamais rien caché, tu avais jusqu'à présent une connaissance assez floue des événements liés à ton petit frère mort-né.
Et puis soudain, sous ma plume, te voilà confronté à la réalité crue de ces journées d'épouvante.
Comme pour rattraper toutes ces années d'ignorance, tu me poses des questions précises et bientôt, tu estimes qu'il est temps pour toi de voir les photos du bébé.
Ça faisait des années que je n'avais pas vu moi non plus ces clichés. La petite main qui semble agrippée à nos doigts, son visage de statue de cire et nos mines déformées par le chagrin nous plongent dans un passé nouveau pour toi et revisité pour moi.
Partager ces moments avec toi est un épisode d'une rare intensité entre nous. Quand on est môme, tout semble aller de soi mais tu touches du doigt désormais le traumatisme profond de cette mésaventure sur notre famille.
Tu réalises sans doute aussi maintenant à quel point ta vie aurait été différente si tu avais eu ce petit frère. Cet argument fut d'ailleurs notre principal guide à l'époque.
Nous ne le regrettons pas.
19 mars 2023
"Les années covid" ont été une épreuve pour tous, on s'en doute. Privées de cours, de vie sociale, les jeunes générations pourtant peu impactées par le virus, en ont payé le prix fort afin de préserver les aînés.
Depuis, on a retrouvé nos repères "pré-covid" avec la vague impression d'avoir essuyé une tempête, une guerre silencieuse qui a laissé en nous des cicatrices profondes et la crainte diffuse d'un nouvel épisode...
Pour l'heure, le moins que l'on puisse dire, c'est que tu rattrapes le temps perdu de la plus belle des façons.
Première année universitaire, après un semestre des plus studieux, tu profites enfin de ton nouveau statut d'étudiant pour croquer la vie et ta jeunesse à pleines dents. Soirées à répétition, concerts de rap à l'Arena ou au Rockstore, week-ends en amoureux avec ta petite copine sans oublier une bonne dose de sport entre piscine, sorties à vélo et salle d'escalade.
Pour compléter ce tableau des plus enviables, tu fais aussi tes premières armes dans l'engagement politique et citoyen avec la participation aux manifestations de youthforclimate et aux mouvements sociaux contre la réforme des retraites.
Quel dévouement, tout de même, que cette jeunesse battant le pavé afin de préserver encore la retraite de leurs aînés, étant bien entendu que la leur sera, le moment venu, une douce illusion...
Ceci va de pair aussi avec quelques désenchantements, comme ce simulacre de démocratie lors d'"assemblées générales" où une poignée d'excités s'arroge péremptoirement le droit de bloquer toute l'université.
Bienvenue dans le monde des adultes !
26 février 2023
Il n'y a de bonheur réel que celui dont on se rend compte quand on en jouit.
Avec les années qui défilent, il est vrai qu'on passe de moins en moins de temps ensemble. Ça me fout un peu les boules bien sûr, mais c'est ainsi, et le contraire aurait été presque inquiétant.
On ne peut pas souhaiter éternellement inverser l'ordre naturel des choses.
Mais parfois, une anomalie locale contrevient à cet ordre établi, comme une poche d'air froid dans le réchauffement global.
Il en est ainsi de cette semaine inespérée qu'on passe tous les deux pour un raid à ski de fond dans le nord de la Finlande. C'est un peu l'équivalent de notre virée de 2015 en version hardcore, avec des étapes deux fois plus longues et une complicité nouvelle...
En transit à l'aéroport de Roissy, une inquiétude sourde gâche cependant le début de la fête. C'est con mais il me semble que plus jamais je ne pourrai prendre l'avion l'esprit léger comme naguère, au regard de l'empreinte carbone désastreuse de ce moyen de transport. Mais on a tous notre "ligne rouge" au delà de laquelle s'arrête l'engagement citoyen et prospère la dissonance cognitive.
Pourtant, il faut bien l'avouer, dès le débarquement à l'aéroport de Kuusamo, la mauvaise conscience s'évanouit.
On retrouve alors le plaisir des grands espaces enneigés, l'aube interminable qui précède un long crépuscule et la nature omniprésente. Quel plaisir aussi de skier de concert, même si très vite, tu réalises qu'il est plus rigolo de t'accrocher aux leaders du groupe plutôt que de traîner derrière avec papa.
Sans cesse, on essaie d'immortaliser le moment puis de le partager avec le groupe sur WhatsApp. Mais à force de paysages sublimes et de clichés décevants, on réalise que le vrai défi c'est de profiter de l'instant, loin des artefacts numériques et des réseaux sociaux. Avec ou sans photos, on fait ainsi le plein de souvenirs, partage des moments inoubliables sur les skis et aussi la nuit sous un ciel d'aurores boréales à couper le souffle.
Enfin, au moment de refermer cette parenthèse formidable, sommes-nous parfaitement conscients de la chance qui a été la notre de partager un tel bonheur...
30 janvier 2023
Je garde un souvenir plaisant des interventions que j'ai pu faire dans ta classe à l'époque où tu étais à l'école primaire.
Sur le thème de l'électricité en CE1 à la demande de ta maîtresse, puis à mon initiative sur les liquides puis les gaz en CE2 et CM1, et enfin une ambitieuse journée consacrée à la relativité sous toutes ses formes en CM2 -on avait commencé par évoquer la relativité des points de vue au cours des âges avant d'embrayer sur la relativité Galiléenne du mouvement et de finir la journée avec quelques exemples spectaculaires de la relativité restreinte d'Einstein, notamment la dilatation du temps et le paradoxe des jumeaux de Langevin.
J'ai envie de croire que j'ai à ces occasions donné à certains le goût des sciences et de la démonstration.
À présent, moins de 10 ans plus tard, c'est toi qui intervient dans ma classe afin de présenter à mes élèves les exigences des études de médecine avec la rigueur et la clarté que j'espère avoir eues à lépoque.
19 février 2023
La musique en général et le basson en particulier auron décidemment habité ta vie et la notre d'une superbe manière.
Dans ce registre, le concours national du jeune bassoniste nous a régulièrement donné l'occasion de vibrer à tes prestations et de partager des moments délicieux avec tes amis musiciens et ta prof Madame Gillet.
Cette année, JVB pose ses valises ici-même, à Montpellier, ce qui permet à tous les "anciens" de reconstituer la dream team historique !
Nous autres parents de musiciens en herbe devenus maintenant de jeunes adultes brillants, nous retrouvons au conservatoire, émus comme jadis, aux premiers rangs de l'auditorium.
On s'émerveille toujours aux prouesses de nos grands enfants et on s'étonne aussi des visages qui, en quelques années se sont épaissis, aux cheveux qui parfois grisonnent avant l'heure et aux fines rides qui trahissent avec une émouvante discrétion l'entrée dans l'âge adulte.
Enfin, après le concert des pros, le concert des anciens élèves , la répétition générale, on se retrouve avec maman comme par le passé, le souffle court, à suivre ta prestation face aux jurys impassibles.
Tu as acquis désormais une assurance sur scène qui nous impressionne et qui manifestement fait mouche puisque tu finis deuxième de la catégorie la plus relevée des moins de 20 ans. Tu nous remplis une nouvelle fois de fierté même si on joue la fausse modestie auprès de nos collègues et amis. J'imagine que ta petite copine qui suit ta prestation à nos côtés ne doit pas être insensible non plus au talent de son amoureux.
8 janvier 2023
Depuis le décès de ma mère, je ressasse les mêmes images :
Mamie tordue sur son lit médicalisé à chercher la bonne position pour respirer et quelques jours plus tard, le regard vide et les gémissements qui précèdent la fin.
Mais maintenant, avec la sédimentation des semaines sans elle, émerge une pensée nouvelle et obsédante :
Ai-je été un bon fils ?
Et puis hier, en parcourant les dossiers de photos sur l'ordinateur, je tombe sur cet enregistrement audio de 2013 où mamie chante d'une voix claire qu'on lui avait presque oubliée...
Me revoilà plongé alors dans ces années où nous partions en vacances l'esprit léger, à trois générations, au VTF ou à Valloire. C'était le temps des chansons dans la voiture et des glaciaires que mamie remplissait jusqu'à la gueule.
Je jouais alors avec délectation le rôle de tuteur pour la nouvelle génération et de béquille pour l'ancienne.
Cette évocation me rend profondément mélancolique, de cette mélancolie des choses révolues, des pages tournées, des chansons oubliées.
Dorénavant, l'ancienne génération c'est moi. Et les mercredis sont bien tristes sans les balades à la plage main dans la main, sans les courses chez Lidl ou chez le producteur.
Quant à la nouvelle génération, elle n'a plus vraiment besoin de tuteur. Et tout le temps libre gagné n'a décidément pas la saveur que j'attendais.
Une certitude demeure néanmoins : si d'aventure tu devais un jour te poser la même question à mon sujet, fils, sois bien sûr que, au delà de la souffrance et de l'inévitable culpabilité de ne pas en avoir fait assez, la réponse serait sans aucune équivoque !