10 mai 2004:
26 ans déjà que j'écris avec plus ou moins d'assiduité dans un "journal". Pour qui ? Pour quoi ?
Ne sommes nous pas tous faits de la même pâte ?
La page web consacrée à mon père m'a fait réaliser il y a peu que des sentiments, pour intimes qu'ils soient, n'en sont pas moins universels.
Aussi, à la faveur de la mode des 'blogs', et à l'orée de ma nouvelle vie de papa, ce "journal en ligne" va-t-il succéder au précédent.
Pour satisfaire aux règles du genre, j'ai adopté un ordre anachronologique, illustré mes propos de photos et de liens hypertextes lorsque cela était possible, et je me propose aussi de publier les commentaires qui voudront bien me parvenir sur
en précisant l'emplacement où ils devront apparaître.
20 décembre 2014
Comme d'habitude, les préparatifs des vacances se font au dernier moment en courant en tous sens pour rassembler les gants, le diabolo, les médicaments, le slip de rechange et les chaussures de ski.
Lorsqu'enfin tous les sacs sont rassemblés au pied de ton lit, j'aperçois ton ours abandonné sur ton oreiller !
- Nom de Dieu ! On a failli oublier Nuri !
- Mais non, me réponds-tu calmement, il reste ici, je le prends pas.
- Comment ça tu le prends pas ?! Mais qu'est-ce qu'il va devenir sans toi ?
- Il va rester ici, faut bien que j'apprenne à vivre sans lui.
Ta décision est sans appel et me laisse sans voix.
J'aurais pu bien sûr te rappeler les personnages de Toy Story abandonnés par leurs propriétaires. Leur détresse qui nous a tant ému, à la mesure de l'ingratitude des enfants.
Mais je n'en fais rien. L'identification est trop grosse, j'accepte ta décision servile tant il est évident que tu dois bien apprendre l'autonomie, je ne le sais que trop...
La réelle difficulté est, pour Nuri et moi, d'apprendre à vivre sans toi...
Comme pour bien enfoncer le clou, de manière un peu fortuite, on regarde coup sur coup deux films où je ne vois que des enfants qui partent et des parents qui restent comme des cons :"La famille Bélier" et "Boyhood".
L'échéance est pourtant encore lointaine pour nous mais c'est plus fort que moi, la perspective d'une vie loin de toi suffit à me faire lâcher la rampe...
Maman dit qu'on en a encore pour une dizaine d'années, pas comme ce pauvre Nuri !..
2 août 2014
À ton âge, en depit de ma timidité maladive, il me suffisait de suivre les traces de ma grande sœur pour être introduit sans efforts dans ses cercles d'amis.
Pour toi, l'équation est plus difficile à résoudre car les conditions initiales diffèrent.
Faute de mieux, aiguillonné par maman et soutenu par papa, tu reprends les recettes qui marchaient naguère pour tenter une approche :
Je marche négligemment à tes côtés -surtout ne pas te tenir la main- vers une cible solitaire qui semble lire sur un transat.
- Mais qu'est ce que je lui dis ?
- Ben, tu penses bien que si je le savais... Tu lui...
- Ah ! Je sais, je vais aller chercher le seau et la pelle !
- T'es sûr que ça va le faire avec le...
Mais tu ne m'écoutes plus et, persuadé d'avoir trouvé la solution-miracle, tu pars en courant te plonger dans le fouillis hétéroclite des affaires de plage.
Une minute plus tard, mes craintes se confirment en te voyant planté avec ton seau devant la donzelle qui lève négligemment les yeux de son iPad pour te toiser, interloquée, toi et ton seau...
Le soir même, on se débarrasse sans discussion de tout l'attirail de plage, ça fait de la place dans le placard...
Malgré cette nouvelle veste de première classe, tu ne sembles pas démoralisé pour autant et passes le reste du séjour, serain, à jouer avec nous comme tu le souhaitais initialement.
Vouloir socialiser à tout prix est manifestement plus notre problème que le tien.
Pourquoi diable faut-il qu'on transpose sur toi nos angoisses existentielles ?
15 juillet 2014
Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours rêvé de voyages au long cours, d'itinérances et de nuits à la belle étoile.
Alors en ce début juillet, nous retrouver en famille et entre amis à parcourir la côte Atlantique en transportant à vélo tout le nécessaire pour avoir l'illusion de l'autonomie, cela à forcément un goût délicieux.
Mais ce matin, tandis que tu te baignes avec tes copines aux jeux aquatiques du camping, je ne peux réfréner une pointe d'amertume et presque de mélancolie :
Combien d'années encore à jouir ensemble de ces moments bénis ? À te contenter de notre compagnie pour pédaler avec joie du matin au soir avec pour seul horizon, la perspective d'une glace ou d'un toboggan et le bonheur d'être là avec nous.
Combien de temps avant que les hormones ne te rappellent à l'ordre et t'eloignent de nous à mesure quelles te rapprocheront de ton futur foutu smartphone ?
Cinq ans ? Six peut-être...
Allons bon, je me surprends en flagrant délit de pessimisme quand je me fais si souvent le chantre de la joie de vivre et du 'principe de réalité'.
Je m'en vais relire le post précédent...
15 mars 2014
Une fois le "concours du jeune bassoniste" achevé, nous profitons de la Normandie, de ses plages et de son patrimoine quelques jours supplémentaires tandis que maman retourne au boulot.
Balades à vélo, geocaches, concerts de pets... On se régale chaque jours de notre complicité avec le plaisir d'entamer seulement la première semaine de vacances.
La deuxième sera passée dans une petite station de Savoie à profiter du soleil et de la neige, du sauna le soir et des copains de passage. Le plaisir de partager tant de bons moments nous enivre chaque jour un peu plus jusqu'à la veille du retour où ton moral semble décliner lentement.
- Qu'y a-t-il fils ? Pourquoi tu sembles triste ? Tu vois pas comme on s'éclate ?
- Mais justement papa, tu vois bien que c'est déjà fini, dans deux jours on retourne à l'école !
Sapristi ! J'ai l'impression de retrouver mot pour mot mes angoisses de retour de vacances lorsqu'à ton âge on quittait le Sud pour la grisaille de notre banlieue Nord... La boule à l'estomac qui commençait à Porte d'Orléans pour ne plus me quitter...
J'abandonne cette fois-ci mon discours éculé sur l'intérêt de l'école -pas crédible dans ces circonstances- pour attaquer sur un autre registre.
Car malgré mon empathie soudaine, la cause est grave et je ne lâche pas l'affaire :
- Mais non, tu ne peux pas faire la gueule comme ça : On s'est régalés et c'est bien ça le plus important, on a passé des moments extras, tu as appris tant de nouvelles choses, rencontré des potes, découvert le ski de fond...
On est riches de tout ça mon chéri, ça nous grandit, ça nous fait avancer et ça nous rend heureux.
C'est pour ça qu'on doit s'en réjouir plutôt que de se lamenter sur les bons moments passés, et en plus demain on va retrouver maman !
Je ne sais si je t'ai convaincu mais mon envolée lyrique me semble assez réussie...
Et encore n'ai-je pas ajouté que ces vacances, mon amour, c'est la métaphore de ma vie :
J'ai tellement les boules, si tu savais, de voir que le temps passe si vite. J'ai encore dans la bouche le goût piquant de la jeunesse que déjà j'entrevois la fin de la séance pour bientôt...
Aussi, je me fais un devoir d'éviter que tu tombes à ma suite dans cette mélancolie maladive qui a tant marqué ma jeunesse et mon existence.
1er mars 2014
Après la frénésie des JO d'hiver de Sochi, les cortèges de médailles et de podiums, te voici confronté pour la première fois de ta courte existence à une réelle compétition : Le concours national des jeunes bassonistes.
Être en tête de la classe de basson du conservatoire de Montpellier est une chose mais se retrouver confronté aux meilleurs instrumentistes de France en est une autre, bien plus difficile à gérer, en tous cas pour nous, dans le rôle des parents et entraîneurs du jeune poulain.
Face à notre stress, tu arbores en effet un calme et une sérénité impressionnants. Ni la salle comble, ni la brochette de jurys à l'air grave ne réussissent à te perturber.
De mon côté, sans rien y comprendre, je répète les phrases entendues dans la bouche de ton professeur :
"Chauffe ton basson ! Fais rebondir tes notes...", en attendant, la boule au ventre, ton heure de passage.
Après un tour de chauffe, te voilà enfin qui rentre sur scène avec ta chemise blanche fraîchement repassée. Alors, avec la mauvaise foi d'un journaliste sportif, on frémit à ta moindre hésitation sans pouvoir retenir une pointe d'enthousiasme lorsque la fausse note provient d'un autre concurrent.
Tandis que le jury délibère et que tu joues à l'agent secret avec tes pairs, maman et moi feignons l'indifférence mais nous sommes les premiers à nous précipiter dès l'annonce des résultats proclamée...
Tu arrives deuxième sur treize dans la catégorie "moins de dix ans" et quatrième sur vingt-six chez les moins de douze. Résultats fort honorables pour une épreuve qui s'inscrit résolument à contre-courant de la politique de l'Éducation Nationale où la compétition est honnie et la médiocrité érigée en modèle.
3 février 2014
Ta revue "Mon quotidien" avait prévenu ses lecteurs la veille qu'un article à venir serait à lire avec papa ou maman.
Aussi, en bon fils-modèle, m'appelles-tu ce matin pour qu'on parcoure ensemble cette page au titre perturbant : "Pourquoi des parents font-ils du mal à leur enfant ?".
Me voilà donc parti dans des élucubrations sur l'inceste que je veux pourtant le moins dérangeantes possibles...
J'essaie de t'expliquer de mon mieux le concept, les actes, les ressorts, mais je me sens très maladroit, pas seulement à cause du sujet mais parcequ'au fond je ne comprends pas plus que toi ce qui peut pousser un adulte à désirer sexuellement son enfant.
Mais mes explications, pour approximatives qu'elles soient parviennent pour autant à te perturber profondément, toi qui sacralise encore, et à juste titre, l'autorité des adultes en général et de tes parents en particulier.
Tu cherches coûte que coûte des repères clairs : les gentils, les méchants...
Comment t'expliquer que ces parents incestueux peuvent être par ailleurs des personnes tout à fait charmantes ?
Afin d'essayer d'y voir plus clair, on regarde ensemble la vidéo du évoquée dans ton journal.
Je dois là encore t'expliquer toute la violence cachée derrière ces images et tu grimaces de dégoût quand j'y parviens.
- Mais comment un papa peut-il être aussi méchant ?
- J'en sais rien fils.
4 janvier 2014
Si jusqu'à présent tu partageais avec nous l'ordinateur familial, voilà que depuis peu, grand-maman t'a offert une tablette tactile flambant neuve !
Après quelques semaines à ne pas trop comprendre à quoi tu pourrais bien l'utiliser, tu finis par tomber les deux pieds joints dans le piège...
Ainsi donc, pour ces vacances, ton sac à dos est inhabituellement léger : point de Legos, de personnages à combattre ou de cartes à jouer, pas de diabolo ni même de livre mais ton ours et... la tablette !
Allons bon, dans l'avion et en voiture, c'est Ok pour regarder un film sur la tablette. Tes jeux à la con, les zombies qui bouffent les passants, le gars qui fuit devant le gorille, bah... tu peux y aller puisque tu t'ennuies.
Seulement voilà, une fois à destination, tu sors aussi ta Samsung pour lire Percy Jackson puisqu'on ne l'a trouvé qu'en version numérique -et consacre au passage la moitié de ton temps de lecture à modifier la police de caractères, la couleur de fond avant de revenir aux réglages initiaux, à moins que...
Pour prendre des photos, il y a une application qui va bien sur la tablette. Pour la musique, il y a tout sur Deezer dans la tablette. Pour communiquer avec mamie, il y a Skype sur la tablette. Pour écrire ton histoire, point de papier et de stylo mais la tablette...
Pour savoir quel temps il fait de bon matin, au lieu de tirer les rideaux, tu sors la tablette et MeteoCiel. Et quand rien ne t'y appelle, et bien tu y viens quand même pour caresser l'écran, réorganiser les icônes, vérifier les réseaux disponibles...
La boîte de Pandore est ouverte et t'a avalé tout entier !
Au secours ! Nous voilà surpris en plein laxisme. De retour de vacances, la cure de désintoxication est expéditive : La tablette disparaît purement et simplement. Pour rien au monde je ne veux te voir ressembler aux zombies qui peuplent nos cités !
Contre toute attente, tu acceptes cette mesure sans la moindre résistance tant celle-ci s'imposait. Tu sembles même reconnaissant de t'avoir permis de retrouver ainsi l'odeur du papier, le bruit d'un déclencheur, le contact d'un bouton pressé... la vraie vie, quoi.
2 janvier 2014
"La Nuit", Transi d'horreur, je lis presque d'un seul trait ce témoignage, comme pour me débarrasser au plus vite de mon devoir de mémoire.
Un père et son fils traversent l'enfer, ça me rappellerait presque le roman de Cormac McCarthy "La Route", si ce n'est que cette apocalypse ci est bien réelle...
En lisant ces pages, je suis traversé aussi d'un embarrassant sentiment de culpabilité à l'idée qu'en telle situation j'aurais pu ne pas être à la hauteur et te soutenir, te protéger comme je le voudrais. Car je me dis souvent que je donnerais sans hésiter ma vie pour préserver la tienne.
Mais que devient-on quand les plus beaux sentiments se heurtent au principe de réalité ?
Je n'ose imaginer que je puisse t'abandonner... Même à bout de forces, même sans vie, je ne peux pas concevoir cette pensée. C'est comme diviser par zéro, on ne discute pas, c'est impossible.
Sur le marque-page qui jalonne ma lecture, ta frimousse bienveillante me rassure et me raccroche au réel en me rappelant ce que je t'ai pourtant maintes fois répété :
L'amour c'est comme les atomes, tu as beau détruire un corps, eux persistent et tu les retrouves dans d'autres matériaux, pour toujours...