10 mai 2004:
26 ans déjà que j'écris avec plus ou moins d'assiduité dans un "journal". Pour qui ? Pour quoi ?
Ne sommes nous pas tous faits de la même pâte ?
La page web consacrée à mon père m'a fait réaliser il y a peu que des sentiments, pour intimes qu'ils soient, n'en sont pas moins universels.
Aussi, à la faveur de la mode des 'blogs', et à l'orée de ma nouvelle vie de papa, ce "journal en ligne" va-t-il succéder au précédent.
Pour satisfaire aux règles du genre, j'ai adopté un ordre anachronologique, illustré mes propos de photos et de liens hypertextes lorsque cela était possible, et je me propose aussi de publier les commentaires qui voudront bien me parvenir sur
en précisant l'emplacement où ils devront apparaître.
20 avril 2012
Ça devient presque une habitude, au moment de partir pour une semaine de voyage-nature, je suis submergé par une vague de sentiments contradictoires, l'excitation de goûter les prémices de l'aventure le dispute au doute de ne pas être à ma place loin de toi, d'aller chercher ailleurs le bonheur qui me tend les bras ici, au travers de notre quotidien.
Ainsi, te quitter, mon fils, demeure toujours une épreuve...
Vivement que notre raid à ski débute et balaye ces pensées malsaines...
Nous arrivons à Oslo à la mi-journée et profitons de l'après-midi pour visiter cette étonnante capitale aux allures de gros bourg.
Le lendemain, nous prenons le premier train pour Finse, à quelques 300 km au Nord-Ouest d'Oslo. Après cinq heures de voyage, on passe sans transition du confort feutré du train à la neige omniprésente. Nous chaussons les skis sur le quai même de ce qu'on peut difficilement qualifier de "gare" pour nous rendre au refuge tout proche. Là, nous déposons tout le gros matériel et repartons sans tarder pour un tour de chauffe d'une quinzaine de kilomètres sur le glacier qui nous fait face.
Le ton est vite donné : vent, neige, brouillard, pentes glacées, c'est ce cocktail qui nous accompagnera sur tout le début du raid. Dans ces conditions, les peaux de phoque à la montée sont tout aussi incontournables que les gamelles à la descente. Malgré cette mise en jambe éprouvante, on retrouve le refuge le soir emprunt d'une excitation délicieuse : Cette virée que l'on rêvait depuis longtemps a enfin commencé...
Lors de notre première étape, on traverse à ski la voie ferrée empruntée la veille pour partir plein Nord vers notre prochain refuge distant d'une vingtaine de kilomètres. Les conditions météo ne s'arrangent pas mais le moral est au beau fixe.
Le jour suivant, on quitte le refuge vers 10h dans des bourrasques de vent et de neige mêlés. A mesure que l'on prend de l'altitude, les conditions météo empirent et on skie bientôt sous une véritable tempête. Le vent nous bouscule et la visibilité est parfois si mauvaise qu'on a du mal à suivre les piquets qui jalonnent le parcours. Tandis qu'on progresse ainsi, dos rond, tête baissée, avec le vent hurlant dans les oreilles, les pensées vagabondent sous le rythme lénifiant des foulées à ski mais reviennent souvent autour du même thème: "mais qu'est-ce que je fous dehors avec ce temps ?". Ça fait partie du jeu, il faut l'accepter, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce sont ces conditions difficiles qui procurent parfois les souvenirs les plus intenses et cimentent assurément notre groupe.
On s'arrête parfois pour rassembler les troupes, boire une tasse de thé chaud et engloutir quelques fruits secs. C'est lorsqu'il faut faire une pause ainsi quelques minutes, retirer le sac à dos et patienter sans bouger, que le froid est le plus mordant. Je n'ose imaginer la tournure des événements si, suite à un incident ou une blessure, il eut fallut nous arrêter dans ces conditions. La seule issue serait alors de se réfugier dans un trou à neige. C'est à cette fin que nous transportons des pelles, mais cette éventualité reste pour moi bien vague et la pelle, comme le sac de couchage, un élément de sécurité objectif mais encore bien théorique...
Heureusement, l'étape du jour est plutôt courte -14 km- et, lorsqu'après quatre heures d'effort nous apercevons enfin le refuge, les difficultés sont vite oubliées. D'autant plus que c'est ma toute première expérience dans un refuge non gardé, en Norvège, et que les surprises ne vont pas manquer...
La porte n'est même pas fermée à clé. On y entre librement; et tandis qu'en France, dans ces conditions, on trouve au mieux, un abri de fortune, et au pire, un champ de merde; ici, tout est propre et à point : Canapés confortables, gazinière, couchettes avec couettes et oreillers, poële à bois, mais ce n'est pas tout. Les placards sont aussi remplis de nourriture ! Et si on ne trouve toujours pas menu à sa convenance, il y a le garde-manger, une pièce là encore, remplie de boîtes de conserve en tout genres et de plats déshydratés !
On se sert à volonté, on fait ensuite l'inventaire de ce qu'on a consommé puis on calcule le montant qu'on inscrit alors sur une note accompagnée d'un numéro de carte bleue ! Le tout est déposé dans une urne qui reste dans le refuge et est collectée en fin de saison. Ce principe de fonctionnement qui perdure ainsi depuis des décennies est à peine croyable quand on vient d'un pays comme la France avec le civisme et l'altruisme que l'on sait...
Le lendemain, dans un refuge gardé, cette fois-ci, la gardienne ne dispose pas de lecteur de carte bleue, et n'est pas non plus intéressée par nos euros en cash. Qu'à cela ne tienne, le plus naturellement du monde, elle nous propose son numéro de compte afin d'effectuer un virement bancaire après notre retour au pays !
Dans le même ordre d'idée, je pourrais citer encore les sacs à dos qu'on dépose à l'entrée des magasins pour ne pas s'encombrer ou bien les contrôleurs qui ne vérifient pas le billet de train sur notre simple bonne foi...
Ces comportements participent tout autant au dépaysement que les panoramas grandioses que l'on embrasse quand le mauvais temps desserre pour quelques heures son emprise... On réalise alors la chance que l'on a de réussir, furtivement, à trouver une petite place dans cette nature sublime.
Parfois, je me surprends à imaginer quelle direction prendrait mon existence si je venais à tout perdre, les miens, mes racines, mes attaches... Et bien, assurément, si je devais trouver alors la force de poursuivre dans l'existence, ce serait dans des lieux tels que ceux-ci que j'essaierai de retrouver du sens à la vie.
C'est un peu dans cet état d'esprit de communion avec les éléments que je passe la dernière nuit de ce raid dans l'un de ces trous à neige que j'évoquais plus haut. Renonçant à la chaleur et au confort du refuge, nous passons, mon ami Jean-Pierre et moi, une nuit inoubliable ensevelis sous la neige, dans une atmosphère un peu irréelle.
Le jour suivant, les évènements se précipitent, là encore dans une effervescence presque oubliée : Les derniers kilomètres à ski qui nous ramènent petit à petit à la civilisation avec ses routes, ses supermarchés, le bus pour Oslo, la douche à l'auberge puis le train pour l'aéroport et un dernier bivouac sur le parquet ciré de l'aéroport...
Huit jours à peine après t'avoir laissé à Marseille, mes états d'âme sont déjà loins tant cette escapade Norvégienne fut riche de beauté féerique et de découvertes. Ce qui est chouette avec ma petite famille, c'est que le retour au quotidien n'a plus le goût amer des fins de vacances de mon enfance, avec la boule à l'estomac qui grossisait à mesure qu'on s'approchait du périphérique parisien. Maintenant, l'excitation de vous retrouver et partager mon expérience avec vous l'emporte sur cette mélancolie inhérente à la fin des beaux voyages...
» La carte du parcours
» L'un de nous passe à la radio...