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... Dans l'avion du retour, l'excitation de vous revoir dans quelques heures se mêle aux souvenirs sublimes de cette escapade Finlandaise, et avant que le quotidien ne reprenne ses droits, l'œil sur la carte, je reprends en solitaire le fil de ces journées fabuleuses...

mercredi 3:
Arrivée à Kittilä au crépuscule dans un aéroport glacé. On se change précipitamment, abandonnant à la consigne toutes les affaires inutiles pour le raid. On prend le bus in extrémis et l'aéroport ferme ses portes derrière nous. Après 10 kilomètres, notre bus de correspondance ne viendra pas. On prend alors un taxi qui nous dépose à Enontekiö. Les routes sont bien évidemment totalement enneigées, ce qui n'empêche pas notre chauffeur de filer à près de 100 km/h... Outre le froid très vif, un signe tangible du Grand Nord est ce crépuscule interminable. Au lieu de "plonger" vers l'horizon comme c'est le cas à l'équateur et dans une moindre mesure sous nos latitudes, ici le soleil rase l'horizon plusieurs heures durant avant d'y disparaître tout aussi lentement, d'où cette impression étrange à l'aube et au crépuscule qui donne aussi une lumière très photogénique une bonne partie de la journée.
Arrivés à Enontekiö après deux heures de taxi, le froid est mordant et c'est avec délectation qu'on découvre notre chambre dans une auberge fort chaleureuse. Malgré la fatigue, l'appel de la couette se fera attendre. Je sors avec Pascal dans la nuit polaire pour profiter de ces instants magiques. Nous avons été bien inspirés je crois, car à peine le nez dehors, une immense zébrure traverse le ciel d'Est en Ouest. Je pense d'abord bêtement à la voie lactée mais très vite, la lumière caractéristique qui s'en dégage ne laisse plus de doutes: une aurore boréale !
Comme c'est souvent le cas en pareilles circonstances, plutôt que de vivre intensément le moment présent, on cherche coûte que coûte à l'enregistrer. Je n'échappe pas à cette règle et me précipite dans la chambre pour chercher l'appareil photo. Mais malheureusement, dans mon excitation, je ne pense pas à pousser le capteur aux limites de sa sensibilité et mes clichés sont ratés... Qu'à cela ne tienne, ce cadeau inespéré est de meilleure augure pour la suite, et c'est la tête pleine de rêves que l'on s'endort cette première nuit dans notre chambre douillette...

jeudi 4:
Réveillés de bonne heure, on attaque le petit dej aux aurores. Poisson, charcuterie, fromage, céréales, on fait le plein avec l'envie d'en découdre au plus vite.
On prend également des vivres pour la journée -option prévue par l'auberge- et c'est vers 9h30 qu'on chausse enfin les skis après s'être chaudement vêtus -le thermomètre indique tout de même -21°C au petit matin. La neige craque délicieusement sous les skis, nous y sommes...
Avant de rentrer dans le vif du sujet, on passe dans une sorte de "maison de la nature" chercher la clé du refuge du soir.
Tout au long de ce voyage, nous dormirons soit dans ce genre de refuge "fermé" au confort appréciable: poêle, gaz, matelas; soit dans des refuges ouverts disposant de l'indispensable poêle, mais plus spartiates; dans des hôtels ou encore dans une salle de classe...
On traverse un petit lac -à skis, bien sûr, faut-il le préciser ? avant de nous retrouver sur des pistes de fond bien tracées, et sous un joli ciel bleu, ce qui nous permet d'attaquer ce voyage dans des conditions idéales. Avec les kilomètres, l'effort aidant, le froid est vite oublié et on se retrouve bientôt vêtu d'une simple polaire. Lors des arrêts, en revanche, il faut se couvrir sans traîner pour éviter le coup de froid. En ce qui me concerne, je skierai la plupart du temps avec un Damart et une polaire, la thermorégulation s'effectuant à l'effort: Lorsque le froid se fait sentir, j'accélère la cadence... Lorsque je commence à transpirer, je ralentis le rythme. Ainsi, tant que le mercure ne descend pas sous -10°C, et sans vent, tout va pour le mieux !
Nous nous arrêtons au rythme des abris qui ponctuent agréablement notre périple: Pyhäkero, Sioskuru, Tappuri...
Les paysages sont somptueux et variés. Nous évoluons tantôt en forêt, tantôt dans des déserts blancs immaculés, tantôt dans de petits canyons aux formes douces et au fond desquels on glisse un peu comme dans un immense toboggan. Lors d'un passage très découvert, on croise plusieurs hardes de rennes, lesquels ne se montrent pas beaucoup plus farouches que nos vaches normandes. Je pose mes bâtons et part pour un safari photo insolite en laissant mes gants derrière moi... Erreur de débutant... Quelques minutes plus tard, je reviens sur mes pas riche de quelques films et photos, mais avec une sévère onglée... J'enfile précipitamment mes gants, bien sûr gelés, et ne me réchaufferai véritablement les mains qu'une bonne heure plus tard au prix d'une grosse accélération...
A 14 heures locales, le soleil est à son zénith, soit une vingtaine de degrés seulement au dessus de l'horizon. On apprendra au fil des jours à ne pas se précipiter en pareille situation, car contrairement aux apparences, il nous reste encore de longues heures de jour devant nous -l'équinoxe est dans deux semaines, c'est à dire qu'on dispose à cette période de l'année, ici comme partout sur Terre, d'environ 12 heures de jour et autant de nuit. Le soleil simplement, comme je l'évoquais, grimpe beaucoup moins haut sur l'horizon, ce qui nous fournit une lumière qui magnifie encore davantage les paysages. Pour autant, c'est véritablement en soirée qu'on arrive à notre destination, Hannukuru, un groupe de petites maisons en bois perdues au milieu de nulle part: Un refuge fermé à clé que l'on partage avec d'autres randonneurs, une baraque remplie de bûches pour le chauffage, des toilettes sèches et... un sauna !
Une fois dans notre refuge, priorité des priorités: allumer le poêle, sans quoi, malgré le côté "cosy" des lieux, on vit dans un véritable congélateur... On remplit ensuite de neige les seaux métalliques afin de récupérer de l'eau pour le dîner, le petit-dej et les thermos du lendemain. Enfin, on peut vaquer à nos occupations, ce qui se traduit pour moi par rechausser les skis pour aller d'abord aux toilettes, puis au sauna. Passer sans transition de températures franchement négatives à une chaleur étouffante a quelque chose de très surprenant. Très vite, pourtant, je quitte les lieux n'en pouvant plus... Je ne sacrifierai pas à la tradition locale qui veut qu'on se roule tout nu dans la neige avant de repartir pour une nouvelle session sauna... C'est ce qu'ont fait, paraît-il, les jeunes Finlandaises qui m'ont succédé. A défaut d'avoir assisté à la scène, cela nous fournit au moins de quoi animer les conversations du soir...
Chance ou malchance, le ciel se couvre en même temps que disparaissent les derniers rayons du soleil. Pas d'aurores boréales ce soir, prétexte en béton pour céder à la grosse fatigue qui nous accable tous après le dîner...

vendredi 5:
Comme la veille, l'excitation nous sort des sacs de couchage assez tôt dans une chaleur inattendue: le poêle a ronflé toute la nuit ! Un petit voyage à ski pour reconstituer le stock de bûches pour les suivants, un autre pour les toilettes. La mise en route est toujours un peu longue dans ces conditions mais quel plaisir d'avoir ainsi l'illusion de l'autonomie et de repartir de bon matin avec un peu de sa maison sur le dos...
Il a dû neiger dans la nuit et les belles traces de la veille ne sont qu'un souvenir. Nous évoluons plus lentement mais dans un paysage féérique où tous les reliefs sont systématiquement lissés sous plusieurs centimètres de neige fraîche. Un peu plus loin, afin de gravir un "tunturi" -les collines locales- on colle les peaux de phoques sous les skis. Plus question de glisser avec ces peluches mais l'accroche en montée est impressionnante et on progresse skis parallèles sur des pentes importantes. L'épaisseur de neige ici est énorme. Visions de paradis. Les arbres ploient parfois jusqu'au sol sous le poids de leur épais manteau blanc et on se glisse sous ces arches inattendues avec un plaisir délicieux. A mesure qu'on prend de la hauteur et que le paysage se dégage, c'est l'enchantement: à perte de vue, du blanc, du blanc... Pas la moindre trace de route, de maison, l'empreinte de l'Homme semble s'effacer devant tant de beauté.
Près du sommet, l'humanité se rappelle à nous la forme d'un petit refuge à moitié enfoui sous la neige. Des skieurs nous ont précédés de peu et le poêle ronfle encore... On mange nos pique-niques bien au chaud en se régalant par avance de la descente qui nous attend...
Malgré la neige qui tombe soudain à gros flocons, la fameuse descente tient toutes ses promesses: 5 km de glisse presque ininterrompue! Cinq kilomètres de plus à zigzaguer dans une forêt peuplée de fantômes blafards, et c'est déjà l'arrivée à la station de ski de "Pallas". En guise de station de ski, une colline avec 2 téléskis, un hôtel au pied et un camping pour camping-cars.
Après 8 heures de ski par -10°C, nous ne crachons pas sur le luxe de cet hôtel, le dîner "open-buffet", les douches chaudes mais à dire vrai, ma chambre particulière me semble bien triste au regard du refuge de la veille, et mes compagnons de route me manquent déjà...

samedi 6:
Petit-dej pantagruélique et doggy-bags. Avant de se remettre en route, on fait un crochet par la "maison de la nature" de Pallas afin de restituer la clé du refuge Hannukuru.
A 10 heures, on quitte enfin cette station de ski minuscule mais qui me rappelle déjà trop la civilisation de laquelle on souhaite s'éloigner autant que faire se peut...
A midi cependant, un rendez-vous téléphonique est prévu pour une interview en direct sur France Bleu Hérault, la radio locale de notre département d'origine. Pendant le temps de l'émission, je skie avec le GSM allumé sous mon bonnet pour le maintenir à une température compatible avec son fonctionnement. Mais point de sonnerie, nous nous sommes apparemment mal compris avec le journaliste. Mon seul regret à ce stade est de ne pas avoir pu faire un petit coucou radiophonique à mon fils, c'est tout. Je ne tiens pas vraiment à communiquer avec qui que ce soit. Un petit sms chaque soir pour rassurer la famille et j'éteins le téléphone illico. L'émission aura lieu une semaine plus tard avec, à défaut du crissement des skis, une bonne pointe de nostalgie...
Au programme de la journée: pistes tracées, beau soleil, taïga, lacs gelés et enfin, arrivée le soir dans un charmant petit village aux maisons multicolores: Särkijärven.
Au grand dam de Marie, les petites maison ne nous sont pas destinées... Notre contact sur place, nous embarque dans un minibus qui nous pose 400m plus loin dans un bâtiment nettement moins glamour. Notre hôte ouvre alors une grande salle en déclarant: "you ask cheap..." et prend congé. On se retrouve alors dans une salle de classe aménagée en dortoir pour l'occasion.
Dîner à 18h30 et Sauna à 19 heures. On découvre à l'entrée du sauna un énorme pic à glace destiné à casser la glace du lac tout proche afin d'y plonger entre deux passages à l'étuve. On se prend en photo avec le harpon mais c'est tout, notre découverte de la culture locale a ses limites...
Sur le chemin du retour à l'internat, je guette -en vain- les aurores boréales et retrouve avec surprise nos constellations familières dans une configuration insolite: La petite ourse et l'étoile polaire frôlent le zénith, matérialisant ainsi notre latitude de 75°.
Dans la soirée enfin, Pascal a la bonne idée de relever sur la carte les coordonnées précises de notre prochain refuge afin de créer le "way-point" correspondant sur le GPS.

dimanche 7:
De bon matin, après avoir traversé le lac qui borde le village, on attaque une pente douce à flanc de colline. Avec l'altitude, les arbres se chargent de neige dans une féérie de formes insolites. Ce spectacle magnifique nous ferait presque oublier le froid qui mord. On s'en doute, avec le vent qui se lève, le froid ressenti n'a plus rien à voir avec la température réelle. On se couvre sans tarder, coupe-vent, cagoule, masque de ski. Arrivés au sommet, on se réfugie dans un tipi Lapon qui tombe vraiment à pic et nous régalons de thé chaud et biscuits. A l'abri des intempéries et avec la perspective d'une belle descente, ces moments partagés dans des conditions un peu rudes se chargent d'une intensité particulière propre à alimenter les plus beaux souvenirs... Et la descente, en effet, a tenu toutes ses promesses.
Dans l'après-midi, à défaut de traces, nous empruntons une piste de moto-neige menant à un col, point de départ -sur la carte- d'un sentier forestier menant à notre refuge du soir.
Une fois au col, point de sentier ni de trace. Dès qu'on quitte notre piste, malgré les skis, on s'enfonce, parfois jusqu'aux genoux, et patine dès qu'il s'agit de progresser... Pour la première fois, l'enthousiasme de rigueur depuis notre départ retombe. Marie et moi nous regardons perplexes. Pascal, le plus aguerri et motivé d'entre nous, ne perd pas une minute: il chausse ses peaux de phoque et part dans la neige profonde suivant le cap indiqué par la boussole. Sans trop y croire, nous l'imitons et partons à sa suite. Les peaux sous les skis préviennent avantageusement la glissade mais n'empêchent en rien de s'enfoncer profondément à chaque pas. Le GPS indique le refuge à près de 3 kilomètres. Dans cette neige et à ce rythme, il nous faudra bien deux heures pour y parvenir, pour peu que le relevé soit valide... Mais rien n'ébranle la motivation de Pascal. Je le suis de près afin de lui communiquer en temps réel les indications du GPS. Après plus d'une heure et demie d'effort, à zigzaguer entre les arbres, je n'ose y croire, un petit toit blanc se découpe à peine sur la robe plus sombre des arbres. La détermination de notre ami a payé !
On dégage longuement la neige afin de pénétrer dans cette petite maison qui, pour l'heure, ressemble plutôt à une chambre froide. Si on en croit le livre d'or posé sur la table, les derniers visiteurs nous ont précédés de trois mois, ce qui n'a rien d'étonnant vu les difficultés d'accès. Le poêle hésite puis finit enfin par démarrer. Avec la température qui devient vite agréable, les quelques doutes et émotions sont vite oubliés. On passe dans ce petit refuge la soirée la plus agréable de notre séjour en Laponie.

lundi 8:
Quel plaisir de se réveiller bien au chaud avec de la neige de tous côtés aux fenêtres. On essaie de profiter au mieux de cette matinée Lapone en essayant d'oublier que ce sera la dernière. Coup de balai, stock de bûches, rangement, on efface au mieux toute trace de notre passage ici, si ce n'est sur le livre d'or. Départ vers 10 heures, on brasse dans la neige profonde plus d'une heure encore avant de retrouver une piste où des traces d'élan nous permettent de ne plus nous enfoncer trop profondément et de retrouver enfin un rythme de progression raisonnable. La piste aboutit bientôt sur une petite route enneigée qui donne sur une autre plus grande où on croise quelques voitures, autant de signes annonciateurs de notre retour imminent à la civilisation.
On réussit malgré tout à s'offrir une nouvelle pause insolite et une bonne rigolade chez un vieil homme déjanté puis on emprunte une dernière piste jusqu'au lieu-dit Peurakaltio où un taxi vient nous chercher une heure plus tard, direction l'aéroport de Kittilä... retour à la case départ...
Le soir même, bivouac à l'aéroport d'Helsinki.

mardi 9:
... Dans l'avion du retour, l'excitation de vous revoir dans quelques heures se mêle aux souvenirs sublimes de cette escapade Finlandaise, et avant que le quotidien ne reprenne ses droits, l'œil sur la carte, je reprends en solitaire le fil de ces journées fabuleuses...

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