Accueil
à mon père...
Papa
"De son vivant, sa façon de n'être pas là, le rendait singulièrement présent et pesant ; sa façon de se taire valait des discours.
Depuis sa mort, je le voyais et l'entendais juste un peu moins, c'est à dire plus du tout ; dans cette petite différence se gonflait l'ampleur de l'abandon."

Herbert Le Porrier, Le médecin de Cordoue

Tout a commencé le 10 mars dernier par un coup de téléphone sur mon portable. Je rigole un peu pour m'éloigner des copains, et soudain je sens tomber devant mes yeux et sur mon cœur le rideau noir des jours de malheur. C'est aujourd'hui encore, 11 jours plus tard, cette même détresse que j'affronte jour et nuit.
A l'autre bout du fil, Florence en larmes m'explique la situation tragique de notre père: tandis que trois jours plus tôt, je le quittais en assez bonne forme à l'hôpital, lui promettant un bon gueuleton à mon retour dans un mois, il se trouve à présent en "détresse respiratoire aiguë" au service de réanimation.
J'essaie tant bien que mal de consoler ma sœur qui sombre dans un désespoir sans borne. Le soir, de retour à Montpellier, je passe ma première nuit d'angoisse, épaulé virtuellement, par ordinateur interposé, par Aysegül.
Comme cela me semble loin désormais, ce temps où je pouvais encore me dire: mon père est vivant.

Jeudi 11 mars 99: Je n'arrive pas à faire cours et quitte l'école prématurément pour prendre à 21 heures le dernier avion pour Paris. J'arrive chez maman à 23h30. L'atmosphère est étouffante. Elle me décrit l'extrême gravité de la situation. Elle me dit être allée le voir, lui avoir parlé sans obtenir la moindre réaction: "je suis venue te voir, tu vas aller mieux". C'est con à dire mais j'aurais tant aimé qu'elle lui dise simplement "je t'aime". On se couche après avoir évoqué le pire pour cette nuit. Je me souviens très bien qu'alors, aussi désespérée que fut la situation, je ne pouvais encore concevoir qu'il puisse disparaître.
A 3h15 pourtant, je suis réveillé par le téléphone: mon père est mort...
Une voix gênée m'explique qu'après trois arrêts cardiaques successifs, ils n'ont pas pu le "récupérer", que je peux venir "le" voir tout de suite en réanimation, ou demain matin à partir de 8h30 au funérarium.
Alors a commencé une véritable nuit d'épouvante: ma mère shootée par ses calmants n'avait pas entendu le téléphone. J'ai ouvert doucement les rideaux de sa chambre afin que la lumière de la nuit la réveille. Elle tremblait déjà comme une feuille. Je l'ai serrée dans mes bras, ce que je n'avais pas fait depuis au moins 10 ans, puis nous sommes restés tous les deux pétrifiés jusqu'au petit matin: une éternité !
Je me rappellerai toujours ces moments là: je regardais les chiffres rouges du réveil de papa, 3:26, puis je me retournais, la serrais de nouveau, prononçais quelques paroles rassurantes entre deux sanglots, lui répétais qu'il n'avait pas souffert. On planifiait aussi froidement la journée du lendemain, on fermait les yeux comme pour dormir puis je me retournais vers le réveil, pensant qu'une heure au moins s'était écoulée et qu'une avalanche d'activités, pour malsaines quelles soient, allaient enfin nous libérer de ce supplice: 3:27 ! Et il en fut ainsi jusqu'au petit matin où d'autres épreuves, non moins douloureuses allaient commencer.
Nous sommes tout d'abord allés chez Florence littéralement assommée par ses antidépresseurs. Puis il a fallut récupérer les effets personnels à l'hôpital: ses habits devenus trop larges ces derniers mois, son poste de radio qu'il n'écoutait plus et son rasoir électrique. Dans ses poches, comme prévu, j'ai retrouvé son mouchoir bien plié et quatre bracelets élastiques. On a apporté une tenue complète à la morgue pour habiller le corps, et on a jeté tout le reste de peur d'une contagion par ce putain de virus. Il a fallut encore passer à l'état civil puis à la mairie, faire la tournée de tous les requins des pompes funèbres pour trouver le moins dégueulasse, prévenir tout le monde par téléphone, affronter la compassion des uns, la connerie des autres, assister aux prières autour du cercueil ouvert -je reconnaissais alors très bien son nez aquilin sous le linceul- participer à la "levée du corps" avec ma mère et ma sœur effondrées. Deux jours plus tard, tandis que les plaies commencent à peine à cicatriser, on remet ça avec l'enterrement. Tout semble orchestré pour obtenir une douleur maximale...
Cette description chirurgicale des événements m'épuise. De plus, elle ne me soulage en rien. Le plus douloureux en fait, bien plus que ces conneries de morgue et d'enterrement, bien plus que d'avoir à affronter la détresse de ma famille, c'est de retrouver sans cesse de petits indices de sa présence parmi nous. Il serait tellement plus rassurant de partir pour "l'outre-vie" comme pour un déménagement: en prenant soin de vider armoires et placards, en gommant scrupuleusement toutes traces matérielles de son passage. Mais malheureusement, il n'en est rien et il ne se passe pas une journée sans que l'on tombe sur ses élastiques, sa brosse à dents, ses habits dans la corbeille à linge sale, son peigne édenté , ses lunettes... Tous ces petits détails trahissant sa présence parmi nous, devenus obsolètes, m'ébranlent en profondeur. De même, j'ai une réelle impression de pillage lorsque, prenant mon courage à deux mains, je fouille délibérément dans ses affaires, faisant la part de ce que je vais récupérer, ce que je vais donner et ce que je vais jeter !

2 Septembre 99:
Et voila ! Lorsque j'étais petit, je pensais souvent à l'an 2000, à cette année lointaine et mystérieuse où j'aurai alors 32 ans !
Je serai alors probablement marié et père de famille...
L'an 2000 est derrière la porte, j'aurai 32 ans dans une semaine. Je suis bel et bien marié, mais je n'aurais jamais imaginé ce que pût être une vie sans mon père.
C'est con, mais dans les jours qui ont suivi son décès, j'étais évidemment abattu mais sans réaliser pleinement l'ampleur du malheur. Je pensais alors, comme après un chagrin d'amour, qu'au bout de deux mois, les choses rentreraient dans l'ordre. Seulement voilà, sa disparition me fait l'effet d'un poison qui, inoculé, libère lentement son principe. Ainsi, maintenant, six mois plus tard, je ressens bien plus qu'alors le mal de son absence. Je découvre à travers ses silences et l'apparente insignifiance de son existence, ce qu'il fut vraiment : un père exemplaire, un papa d'amour pétri d'émotions, de tendresse et de bonté. Par delà sa collection de petites cuillers, de bracelets élastiques et de bâtons de glace, se révèle enfin toute la poésie de sa vie. Je ne veux pas l'oublier, ni son accent égyptien-genre-Dalida, ni son écriture d'écorché-vif. Aussi, pour lui rendre hommage et effectuer peut-être ce que les psychologues appellent pudiquement le "travail de deuil", après m'être emmêlé les pinceaux en récitant la prière des morts sur sa tombe, j'aimerais construire pour lui une page web à son image, en mélangeant quelques petites anecdotes sur lui à des objets de sa collection ou des photos de mon papa-chéri...

2 Avril 99:
J'ai arraché il y a deux jours la page "mars" du calendrier de la cuisine. Au clou est encore suspendu le crayon à papier qu'utilisait papa pour noter son emploi du temps:
-15:00 docteur
-Vacances Philippe...
Je n'aurais jamais imaginé il y a un mois seulement que ma vie allait changer à ce point. C'est toute mon enfance et une grande partie de l'insouciance qui y était liée qu'on m'arrache avec cette page de calendrier. Alors, comme pour me rattacher à cette partie de moi qui s'enfuit désespérément, j'essaie d'inventorier du mieux que je peux tout ce qui le caractérisait si bien, qui m'agaçait tant et qui me fait maintenant si cruellement défaut...

4 Avril 2000:
papa Plus qu'une blessure, il m'apparaît à présent que le décès d'un parent soit un véritable handicap. On peut en effet s'habituer à vivre un moment avec une jambe cassée: on titube et clopine sans jamais perdre de vue le jour de la guérison.
La logique est bien différente lorsqu'il s'agit d'une jambe coupée: l'existence dans son ensemble est tout simplement bouleversée, on ne marchera plus jamais comme avant et le monde semble soudain plus petit. On se dit aussi sans vraiment l'avouer qu'on ne réalisait pas bien avant notre chance de pouvoir marcher et courir. On aimerait dire aux autres d'en profiter... Mais tout ceci est stupide car on est né pour avoir deux jambes, deux bras, un cœur et un père.

Le pliage des chaussettes: Démo 1 Démo 2 pliage des chaussettes
Le nom de mon père figurait sur ses cartes de visites, sur la plaque de la porte et guère plus.
Il n'a rien fait de véritablement exceptionnel que de mettre au point une méthode révolutionnaire de pliage des chaussettes qui permettait à toute la famille de se chausser en un tour de main. C'était un homme simple mon père et c'est comme ça qu'on l'aimait, avec ses habitudes et ses mille petites manies qui le rendaient si singulier.

Cliquer sur une paire pour la démo de pliage !

L'emploi du temps:
Il se levait tôt mon père, cirait ses chaussures puis allait acheter son journal. Il rentrait à la maison, posait son journal et redescendait acheter les deux baguettes que maman lui avait commandées à la boulangerie en face du libraire. Peu après, un peu essoufflé, il revenait avec quatre baguettes car "on ne sait jamais". Alors, il passait la matinée à dormir devant son journal, et nous mangions à midi les deux baguettes excédentaires de la veille tandis que le pain de la journée rassissait pour le lendemain. Il y a bien un an pourtant qu'il ne faisait plus qu'un seul aller-retour quotidien à la boulangerie, négligeant l'achat du journal. Et ces derniers mois, il ne descendait même plus à la boulangerie, trop,essoufflé qu'il était de traverser l'avenue. Aïe papa, combien de fois n'avons nous pas râlé contre tes sales habitudes, et comme il nous semble fade désormais le pain frais de la journée...

La maison & le matos:
Pour mon père, les volets et les rideaux devaient rester fermés, même en plein été. Et surtout en plein été afin que le soleil n'abîme pas les fauteuils ou le canapé qui, par ailleurs étaient recouverts d'un large couvre-lit. Il possédait tout en double aussi, deux exemplaires de chaque carte routière, l'un vieux de dix ans et l'autre de quinze. Deux nappes sur chaque table, deux perceuses pour lui qui savait tout juste planter un clou: l'une "au cas où" et l'autre "de réserve"... Deux coeurs aussi au fond de sa poitrine: L'un fatigué, usé, qui nous a lâché il y a quelques semaines, et l'autre infatigable pour nous aimer à sa façon et jusqu'au bout.

Le bricolage:
Il n'avait pas son pareil pour tout réparer avec du scotch, mon père, du téléphone à la statue du salon et de l'ourlet de son pantalon à la porte de la cave. Et lorsque le problème résistait à ses rouleaux de scotch, il sortait de sa poche quelques bracelets élastiques qui ne le quittaient jamais. Ainsi, ce matin du 12 mars 99, lorsqu'au retour de la morgue avec ma mère, il nous fallut fouiller ses vêtements, nous avons retrouvé dans la poche de son pantalon un mouchoir en tissu soigneusement plié en quatre et repassé par ses soins et bien sûr quatre bracelets élastiques. Mécanisme de défense ou simple conséquence, le fait est que je me découvre depuis étrangement fétichiste et que ces élastiques ont pris une importance démesurée. J'ai dû céder le premier à ma sœur lors de l'enterrement pour qu'elle puisse encore le serrer fort. J'enterrerai le second au fond de la grotte de "La Carmina" à St-Guilhem-le-désert, et le troisième sera largué en vol depuis mon parapente -dimanche 9 mai, c'est chose faite.

Les petites cuillers:
Ancien comptable, mon père tenait un inventaire méticuleux des petites cuillers de la maison. Qu'une seule vienne à disparaître, et dans l'heure qui suivait, l'alerte était donnée et les recherches lancées. Et si ces dernières, du placard à la poubelle, s'avéraient infructueuses, lors d'un prochain passage dans un self, le stock était reconstitué !..

miam...

La bouffe:
Il aimait le bon couscous de sa femme, mon père, et la loubia, et la boulette, mais aussi le canard à l'orange, le riz cantonnais et les beignets de crevettes. Lorsqu'on quittait le restaurant chinois pour lequel il s'était longuement préparé, Dieu seul sait pourquoi il nous parlait de sa prochaine voiture qui posséderait la direction assistée ! C'était là l'un des rares points sur lesquels il se montrait un peu confiant dans l'avenir. Car pour le reste, il disait qu'il n'en pouvait plus, qu'il était à bout de souffle, qu'il avait déjà un pied dans la tombe et qu'il ne verrait pas ses petits enfants. Et il s'est sacrément planté car il a eu le bonheur de partager la vie de deux superbes petits-enfants. Il disait aussi en pleurant qu'il n'aurait pas la joie d'assister au mariage de son fils et qu'il ne verrait pas l'an 2000. On lui disait alors de se taire et qu'il nous saoulait avec son pessimisme maladif.
Mais là, malheureusement, il avait un peu raison même si je n'ai jamais pensé si fort à lui que le jour de mon mariage...

La musique:
En mélomane averti, mon père possédait toute la collection des CD "Digital master". C'était le genre de CD qu'on obtenait en cadeau avec les barils de lessive et qui se disputaient le dernier étage de la bibliothèque avec les albums de Dalida ou de Frédéric François. Papa s'enfermait alors dans le salon pour écouter "sa" musique, et roupillait sec jusqu'à ce qu'une note plus haute que les autres ne le tire de sa léthargie. Ma frangine et moi nous repliions alors dans nos chambres respectives jusqu'à ce que l'orage passe. Je garde de cette période quelques CD parmi les moins craignos, et un goût toujours entier pour radio-Nostalgie...
Afin d'être vraiment complet sur le thème, je dois évoquer la façon très singulière qu'il avait d'écouter le Boléro de Ravel: Le volume au maxi dès les premières notes parce qu'on "n'entendait rien", il baissait le son avec la succession des morceaux pour finir en sourdine pour pas déranger les voisins !..

5 Janvier 2002:
mennen & Petrol-hann
Aujourd'hui, malgré la méticuleuse parcimonie qui m'anime depuis plus de deux ans, j'ai terminé la bouteille d'After-Shave de Papa. Finie l'odeur piquante du Mennen bon-marché qui diffusait de ses joues maladroitement rasées. Envolées les effluves de lotion capillaire, les grimaces devant le miroir et les jurons à chaque morsure du rasoir.
Alors, que reste-t-il de lui et de sa vie près de trois ans après son décès ?
Quelques élastiques ? En fond sur cette page, oui, mais c'est tout. En effet, j'ai appris à mes dépens que la durée de vie d'un bracelet élastique n'excède pas deux ans ! Suivant la qualité, certains deviennent alors collant comme du chewing-gum quand les autres se dessèchent et cassent comme des macaronis crus.
Les élastiques de ses pyjamas, quant à eux, cèdent eux aussi les uns après les autres, et dans un clin d'oeil coquin du destin, laissent maintenant entrevoir le joli petit cul de ma tendre épouse...
Les fringues, oui, il m'en reste encore quelques unes, mais elle est bien révolue l'époque où je retrouvais encore avec émotion un mouchoir bien plié au fond de la poche du blouson .
Alors quoi ? Quelques photos ? Mouais... Un petit tas d'os entre quatre pierres qui ne portent pas même son nom ? Très peu pour moi ! Des souvenirs ? Oui, heureusement, mais là encore, la pudeur aidant, avec qui les partager ?
Une jolie page web ?! A vrai dire, c'est avec cette page que j'ai le plus l'impression de le retrouver.
Lorsque j'ai vraiment trop les boules de son absence, plutôt que d'aller fleurir sa tombe, j'écris quelques lignes qui finissent parfois ici même, je scanne des photos pour illustrer mes propos...
Ainsi donc, mon p'tit père, toi qui a rarement dépassé l'épicerie du coin et qui n'a jamais voulu toucher, même au minitel, te voilà sur Internet, voyageant à travers le monde ! Car en plus d'une jolie boîte et d'une stèle en marbre, je t'offre quelques kilo-octets sur un disque dur, Dieu sait où...
Et parfois, lorsqu'au hasard de tes pérégrinations sur la Toile, je reçois un message d'un Internaute qui se retrouve à travers tout ce déballage, et bien j'ai un peu l'impression que c'est toi qui me fait coucou !
Alors bon voyage mon p'tit père ! Bon voyage et ne m'oublie pas !...

24 décembre 2002:
24 décembre 2002
D'une façon assez inattendue, c'est à minuit pétante dans la fameuse église Viennoise de Stephensdom que tu m'as fait un nouveau signe, coquin de père... Espérant assister à de beaux chants de Noël, on s'est retrouvés piégés par la foule sous l'orgue beuglant des notes pour le moins insipides et couvrant pour le plus les maigres voix d'une poignée de chanteurs à l'autre bout de l'église.
N'osant trop manifester mon impatience, j'entreprends alors de "passer le temps" en explorant les fonctions de ma montre-baromètre et en fouillant scrupuleusement les poches de ma veste d'hiver sortie pour l'occasion de ces vacances en Autriche.
Pression: 977 mb. Altitude: 315 m. Température au poignet: 22°C -ce qui est très faible compte-tenu de la fraîcheur ambiante.
Résultat de l'exploration: poche intérieure: un stylo et une serviette rafraîchissante. Poche extérieure gauche: quelques cure-dents "Air France".
Poche extérieure droite: Rien... A moins que... Non ! Je n'ose y croire... Je sens quelque chose de mou sous la doublure: A travers un trou de la poche, je déniche alors un superbe mouchoir bleu encadré de blanc. Plié bord contre bord et encore fraîchement repassé, il porte même l'initiale du prénom de papa: J.
Aussitôt, comme l'autre idiot avec sa madeleine, les notes de l'orgue sont couvertes pour moi et dans ma tête par les grincements du fauteuil du salon sur lequel papa faisait le repassage en regardant "Drôle de dames" ou "Starsky & Hutch".
Après s'être échiné avec le même zèle sur chemises, chaussettes, slips kangourous et mouchoirs, il exposait alors fièrement sur la table du salon, les fruits de son travail sous la forme d'une expo insolite.
Cela durait jusqu'à ce que maman, agacée, aille ranger le tout dans nos placards respectifs...
Ça faisait de longues années que je n'avais pas eu ainsi l'occasion de tomber sur un souvenir si tangible de son existence...

20 Novembre 2004:
la tétine
Six ans déjà... Pourtant, je me souviens comme hier des moments qui ont suivis la mort de papa: avant tout, cette émotion qu'on ne peut contenir, qui submerge tout.
Ensuite vient la frénésie communicative: parents, amis, voisins et connaissances doivent apprendre la nouvelle. Et comment, de toutes façons, le monde pourrait-il continuer à tourner comme avant ? Enfin, les démarches administratives au guichet "état civil" de la mairie, et cette question incroyable de l'employée: "C'est pour une naissance ou un décès ?"
Tout cela, étonnamment, je l'ai retrouvé presque trait pour trait en ce mois de Novembre 2004. A quelques détails près cependant:
Les larmes cette fois-ci étaient bien des larmes de joie et si le guichet de la mairie était le même, c'est bien pour une naissance, que je m'y pointais !
Paradoxalement, cette naissance me rapproche aussi de mon papa, tout défunt qu'il soit.
Sans doute le fait de devenir papa à son tour diront certains, et de réaliser qu'il a sans doute lui aussi éprouvé pour moi le même amour formidable devant le regard si pur d'un nourrisson.
Dans ces yeux, on retrouve alors toute la magie de la Création, on toucherait presque du doigt la mystique de l'univers... Les yeux se plissent alors et dans une grimace sacrée, notre petit archange laisse échapper un bon vieux pet baveux qui nous fait dégringoler instantanément de nos hautes sphères jusqu'à la table à langer: il faut changer la couche !

23 Juin 2004:
Il y a 5 ans déjà que j'ai commencé à construire ce site autour de mes quelques réalisations en tant que professeur de Physique.
Je m'attendais alors à échanger avec des collègues quelques Travaux pratiques, tuyaux et autres astuces d'enseignants...
Depuis lors, à ma grande surprise, bien plus que la page consacrée à la physique, c'est celle-ci, consacrée à mon défunt papa qui me vaut le plus de messages d'Internautes. Ces derniers sont bien souvent très touchants, preuve, s'il en est que, pour intimes que soient ces lignes, elles nous concernent toutes et tous. Dès que l'on parle d'amour ou de mort, on touche un peu à l'universel, vos témoignages l'attestent...

Eh bien j'étais en train de lire ce que vous écriviez sur votre père et les souvenirs que vous évoquez.
Cela me rappelle un peu mon histoire à quelques détails près.
Même si le temps ronge naturellement l'élastique, pour moi, il n'a pas attendu, et il m'a pété à la gueule. Cela fait 21 ans déjà et j'avais 33 ans...

C'est bien loin des pages Web ! et apparemment, ça aide.
Un excellent dérivatif, dont je ne manquerai pas de vous entretenir d'ici peu.

Cordialement, André

Intimes les lignes que tu as mises ? Sans doute pour toi car cela remonte du fond des tripes. Mais plus ça va et plus je me dis que les tripes des humains se ressemblent étrangement ! Alors plutôt qu'intimes je dirais universel,voilà mon avis !
Alors merci pour ces lignes où nous serons, je suis sûre, nombreux à nous reconnaître.

A bientôt, Sophie

Bonjour, je suis tombé sur la page que tu consacres à ton père, en cherchant sur internet quelque chose qui n'avait rien à voir (comme quoi, le hasard...). Je l'ai lue avec beaucoup d'attention (et d'émotion).
Pour ma part, mes parents sont vivants, j'aurai un jour à affronter ce que tu traverses. On n'imagine pas que des êtres chers puissent disparaître, c'est un peu comme de parler de sa propre mort. Le décalage est trop important, on dirait que ça n'arrive qu'aux autres; et pourtant...

En attendant, comme tu le dis, le souvenir de ton père voyage puisqu'il est arrivé jusqu'ici, à Tahiti, complètement à l'autre bout de la planète. Et il fera à nouveau le chemin, j'ouvrirai de temps en temps cette page à la recherche de mises à jour, ou tout simplement pour la relire.
Avec force de petites anecdotes et de détails apparemment insignifiants, tu traces un portrait émouvant, on sent toute l'affection que tu portes à ce père si humain, au-delà de ce qui vous a séparé. C'est une très belle page.
Bonne continuation, et bon courage.

Emmanuel

J'ai lu quelque part qu'une dame correspondait avec son papa décédé à partir des moteurs de recherche internet : elle posait une question, ou s'adressait simplement à lui et il lui semblait obtenir des réponses dans les résultats qui suivaient. J'ai voulu, ce soir, faire une tentative. J'ai voulu obtenir peut être un signe du mien.Dans deux jours, le 3 janvier, cela fera 11 années qu'il nous a quittés. Et j'ai beau croire à la vie après la vie, malgré toutes mes certitudes, tous les signes que j'ai reçus juste avant sa mort et après, et depuis... je sais qu'on ne se quitte pas tout à fait, il me manque à un point...! alors je m'en veux de souffrir autant, encore et toujours et je me demande si on ne craint pas d'arrêter de souffrir de peur que cela ne revienne à arrêter d'aimer. Alors je n'apporte sans doute rien à votre édifice, je vous confirme simplement que vos mots nous parlent, vos émotions nous parlent, votre vécu nous parle.. parce que les trajets en bus, en auto, en métro,... vers l'hôpital, telle maison en pierre à l'angle de telle rue, le feu clignotant là à droite, la petite boulangerie ou la charcuterie, le parfum de l'air pluvieux, le timide rayon de soleil, le froid mordant, les minutes d'attente, ces longues minutes, la tenue de papier, masque et chaussons pour la réa-, l'incertitude, le doute, l'espoir, le mensonge à soi-même, la dure réalité des visites, de ces silences forcés par des machines barbares, le corps inerte, la traque du moindre signe d'encore-en-vie et d'encore-conscient, les promesses de trouver le bonheur pour qu'il parte en paix, le remords de n'avoir pas toujours compris leur enfer, le regret de n'avoir pas dit plus, mieux, la souffrance de n'avoir pas été là à temps pour accompagner,...les rêves où je crois avoir oublié l'existence de mon père noyé dans la solitude à l'hôpital, tout cela, combien sommes nous à les vivre au plus profond de nos âmes ? Ce soir, c'est le Réveillon, un pont entre une année et la suivante. C'est un moment de réunion familiale ou amicale, un pont entre eux et nous. Parce que j'ai la certitude que ceux qui nous quittent ne sont pas bien loin. Qui n'a pas ressenti le souffle sur le visage ou le bras, une caresse, un parfum, l'odeur de tabac, vu la lumière clignoter ou je ne sais quoi qui ne peut appartenir qu'à l'absent ?

Lise

J'ai revisité la page consacrée à ton père, avec toujours beaucoup d'émotion et aussi, cela peut paraître paradoxal, de plaisir. J'ai découvert les nouveaux textes. J'aime et j'admire ta façon d'aborder ce sujet. Beaucoup de sincérité, de pudeur et ce sens de l'humour, politesse du désespoir.

Florentino

Tout d'abord, je n'ai pas les mots pour dire à quel point l'hommage à ton père est touchant, tellement vrai pour nous vivants organiques. Bon, mais je n'ai hélas pas beaucoup de temps et pas le talent pour parler de nos arrangements avec la mort à qui ton site réalise un joli pied de nez, rendre éternel un être cher ! J'ai quelques copies à corriger puisque je fais partie moi aussi du gros mammouth !

Sophie

Mon entrée sur ton site a été ton tutoriel, ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai enfin pris, le temps de le parcourir, et la mesure de ton affection pour ton père ! La mort, la peine et la douleur qu'elle génère sont -hélas- parmi les seules choses universelles, seule la façon de l'exprimer diffère
Achia, comme on dit ici au Cameroun

Olivier

En effet, on hésite souvent à laisser un message à l'auteur du site.... mais je suis tombé par un gros hasard sur la page consacrée à ton père. Je viens de vivre le même évènement il y a deux mois et la lecture de ces lignes me fait trembler.... le même tremblement que le jour on l'on m'a appris cette triste nouvelle. Tu exprimes avec précision des douleurs que je cherche à exprimer en vain. On a tendance à oublier que cela arrive aux autres et c'est pourquoi je fournis cet effort pour te remercier de tes lignes, ces lignes qui peuvent enfin me permettre d'associer des mots à ma douleur.

Ton site est très sympa. Vive la physique ! Mais c'est surtout la page dédiée à ton papa qui m'a bouleversé. Je m'attendais juste à un petit mot et voila que toute cette douleur se déverse sur moi par l'intermédiaire de mon écran et du même coup ravive la mienne. J'ai vécu une situation identique le 29 septembre 2004... Ma blessure est donc encore fraîche. Je ne connaissais pas ton papa mais c'était sûrement un type formidable ou en tout cas un papa épatant. Comme l'était le mien. Bonne continuation, car la vie DOIT continuer et avec humour, s'il vous plait.

Murps

Bonjour, je suis une de vos élèves que vous avez eu cette année en physique, vous savez la classe de nul !! Alors deja j'ai trouver votre site très interéssant, surtout la page consacrée à votre pére, car moi aussi j'ai perdu mon pére mais quand j'avais 8 ans d'une rupture d'anévrisme.
Donc ça ma toucher. J'ai passé une très bonne année en votre compagnie...

Gasp... plutôt que d'aller fleurir sa tombe, j'écris quelques lignes qui finissent parfois ici même